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Une amitié immortelle dans le delta d’Egypte |
28 Mars 2012 | ||||||||||||
Ce qui me bouleverse plus que tout autre chose dans certains sites archéologiques que je traverse dans mes pérégrinations égyptiennes depuis des décennies, c'est lorsqu'on devine, grâce aux artefacts que l'on trouve in situ, qu'une relation privilégiée, foncièrement humaine, a existé entre certains personnages y ayant vécu. Une relation fortement liée au lieu et chargée en intensité émotionnelle, affective. Une relation de toute une vie où se mêle : une amitié véritable et indestructible, une admiration absolue et réciproque, une grande exigence dans le partage d’un idéal et dans les causes poursuivies, une fidélité , une loyauté à toute épreuve. Je pense que c’est ainsi que l’on peu qualifier par exemple le lien extraordinaire ayant existé entre le pharaon de la XXI ème dynastie d’Egypte : Psusennes I dont le nom en égyptien ancien est : Pasebakhaenniut signifiant : »L’étoile apparaissant dans la citée », sa femme Moutnedjemet « Mout la douce » et son Général en chef des armées : Oundjebaoundjed, dans le site magique de Tanis dans le magnifique delta égyptien . Aussi, aujourd'hui, j'aimerais beaucoup partager avec vous l'émotion particulière que me donne ces deux personnages inscrits pour l’éternité dans le site de Tanis l'ancienne "Djanet". Tanis est d'abord un mont mystérieux que les Anciens égyptiens nommaient "Sekhet Djanet" pour en souligner l'importance et la particularité. Car en fait il s'agit plutôt d'une colline, un tell*, oui, mais un tell très curieux…Imaginez que pour accéder au lieu il vous faut gravir une pente sablonneuse sans rien voir du site qui se trouve en contrebas, dans une sorte de cratère creusé dans le tell. Vous entendez le vrombissement survolté du petit bourg de San el Haggar se trouvant à 800 m derrière vous, montant à vos oreilles et qui semble venir d’un autre monde, puis soudain vous découvrez Tanis sous vos yeux devant vous, à vos pieds, dans un écrin de silence…..Et là, vous n’avez qu’un souhait : vous laisser absorber par ce lieu magique…
Et là, plus vous avancez dans la douceur de l'air, sous une brise marine (la mer est à peine à 40km), vos pas étouffés par un sable compact orangé, vous réalisez combien ce site en contrebas est vaste: plus de 77 ha en réalité. Mais surtout vous comprenez, dans l'espèce de creux dans lequel vous vous trouvez, que vous êtes dans une sorte d'immense cratère…Il me plait à penser d'ailleurs qu'à l'origine c'était peut être l'emplacement il y a bien longtemps d'un cratère météoritique , depuis recouvert de sable et que les fouilles mettent à nu, mais cela n'engage que moi bien sûr….L'Egypte à toujours considéré les météorites comme un don du ciel par leur richesse en métaux et c’est ici que l’on a trouvé les fameux sarcophages de métal… et puis le nom choisi pour Psusennes I est peut-être la commémoration d’un événement astronomique ayant eu lieu à Tanis, jadis…
Donc la première chose que l’on ressent dans ce lieu c’est une perte de repères, une impression fortement onirique générée par cette sorte de creux sablonneux qui étouffe tout bruit de la modernité et où la brise marine s’arrête, heureuse de vous envelopper dans sa ouate délicate. Le site dans l’Antiquité, était bordé à l’Est et au nord par l’immense lac salé de Menzaleh prélude à la Méditerranée et recouvert de forêts de papyrus en fleurs et de lotus. Un lac où la richesse en oiseaux et poissons de toute sorte était extrême : c’était un véritable réservoir de vie maintes fois célébré en Egypte antique. Maintenant le site est échoué au bord d’une mer de sable…entouré par une enceinte de briques crues de 1m d’épaisseur et de 500m de long datant de l’époque Ptolémaïque assez récente, mais on a retrouvé dessous une autre enceinte de briques crues plus ancienne et datant de Psusennes 1er et il y en a sans doute encore d’autres au dessous…puisqu’on a des traces de la ville remontant jusqu’à la cinquième dynastie… En tous cas le site de Tanis était bien connu des anciens Égyptiens non seulement pour être un lieu très sacré mais aussi une cité importante qui avait été construite pour rivaliser avec Thèbes. Tanis était dédiée à la même triade divine que Thébes : celle d’Amon avec son épouse Mout et son fils Khonsu. Il y avait donc, son gigantesque temple d’Amon, aux 12 obélisques, aujourd’hui réduit à des blocs en ruines et de gigantesques obélisques couchés qui avait été construit à l’image parfaite de celui de Karnak (à Thébes). Enfin, on parlait de Tanis dans les anciens textes comme étant la « Thèbes du Nord ».Tout ceci pour que vous imaginiez bien le monumentalisme du site…
Tanis fut découverte puis fouillée par certains archéologues parmi les plus géniaux : par le français Mariette en 1860, par l’anglais Flinders Pétrie de 1883 à 1886 et par le français Pierre Montet de 1929 à 1951 qui mit au jour les tombes inviolées des pharaons Sheshonq II en 1939, puis de Psusennès Ier en 1940, puis celle du général Oundjebaoundjed en 1946. Ces tombes inviolées au sud de l’esplanade du grand temple renfermaient un trésor exceptionnel comparable à celui de Tutankhamon et passa presque inaperçu à l’époque car c’était la dernière guerre mondiale... Pourtant les 3 sarcophages de Pharaon Psusenes 1er étaient du jamais vu : un en granit rose, un en granit noir et le dernier en argent réhaussé d’or, sa momie avaient des doigtiers d'or, eux-mêmes ornés de bague et il portait son masque d’or et ses sandales en or. Ceci était non pas le signe d’une grande matérialité comme on pourrait le croire mais au contraire d’une forte spiritualité :l'or symbole de la chaire du soleil, une des grandes portes initiatiques, était considéré comme le symbole de la renaissance et était un élément utilisé en copeaux très fins pour purifier le chemin des processions divines pour chasser toutes forcesd’involution.Et dans sa tombe on retrouve plusieurs objets, ushebtis au nom de son général et sensés lui apporter sa présence dans l’au delà….
Et c’est là où je veux en venir….Quel ne fut pas la surprise des archéologues quand ils découvrirent que non seulement le Général Oundjebaoundjed avait sa propre tombe dans le caveau funéraire de son propre Pharaon ce qui était déjà un privilège insigne et encore jamais vu, mais ses sarcophages étaient recouverts de bijoux et d’orfévreries d’une sophistication extrême qui étaient à son nom et offerts par son pharaon et sa grande épouse royale la douce Mutnedjemet. Ainsi il m’arrive d’imaginer l’incroyable tribut que l’on fit sur sa dépouille lors de ses funérailles, en y répandant en pluie d’artefacts précieux les preuves de l’indéfictible amitié liant Psusennes 1er et sa reine avec leur ami de toujours Oundjebaoundjed et ceci au delà de la mort. L’existence de ses présents très personnels est une remarquable marque du lien particulier et fort les reliant. On sait par le département d’anatomie du Musée du Caire qui étudia la momie de Psusennes 1er que celui-ci était très agé quand il mourut et il n’est donc pas impensable de penser qu’il avait survécu à Oundjebaoundjed et qu’il était sans doute présent lors de l’éloge funèbre de son meilleur ami ainsi que sa femme qui était beaucoup plus jeune…
Quelle amitié extraordinaire liait ses trois personnes auxquelles il faudrait adjoindre sans doute le fils de Mutnedjemet et de son royal époux : Amenemophtis ? En effet le fils du couple royal suiva de très près le style hautement spirituel et puissant du meilleur ami de ses parents : c’est lui qui construisit la chapelle d’Isis à Giza et construisit une autre dans le temple de Ptah à Memphis….Il marcha sur les pas d’ Oundjebaoundjed de façon extraordinaire…Le fils de Psusennes et Mutendjemet En effet, Oundjebaoundjed, n’était pas seulement (si je puis dire) le chef de la garde personnelle de pharaon et le général de ses armées, il n’était pas seulement Ministre du Culte chargé des les revenus des domaines divins pour le compte de l’Egypte, le guide des contacts commerciaux en Assyrie où il construisit des temples en l’honneur de la triade de Tanis, mais il était aussi Prophète du dieu Khonsu, chef de tous les prophètes de tous les dieux, et pour finir le confident privilégié de la famille royale…., Oundjebaoundjed fut le lien irremplaçable entre les choses terrestres et celles divines, il fut le ciment des deux royaumes visible et invisible pour son pharaon et son pays et dans son cœur un ami d’une loyauté à toute épreuve qui perdure au delà du temps…la fierté et l’inspiration de l’Egypte éternelle se retrouve dans cette amitié extraordinaire…. Et si vous venez un jour à Tanis avec moi, près du lac sacré je vous ferais peut-être entendre le souffle de la brise portant encore les murmurs des amis éternels qui doivent encore veiller sur ce lieu magique. Photos et collages: Antoine Gigal Antoine Gigal est un auteur français, chercheuse et exploratrice, correspondante permanente en Egypte de la revue “L’ Egypte” |