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Les Pygmées du Congo |
30 Novembre 2016 | ||||||||||||||
Les Pygmées du Congo appelé Mbuti et leurs rites sur les jumeaux
Les origines des Pygmées Selon Victor Bissengue, les Pygmées sont considérés comme des descendants de très anciennes populations localisées au paléolithique dans les régions des Grands Lacs : le Rwanda, le Burundi, le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda. Ils descendent tous d’un même ancêtre dont le prototype serait représenté par le spécimen homo sapiens dit OMO I qui lui même remonte d’après les datations absolues à plus de 130 000 ans. Leur existence est attestée dès la plus haute Antiquité. Pour les Égyptiens de l’époque pharaonique, il ne s’agissait pas de créatures légendaires, mais bien d’hommes à part entière qu’ils prenaient soin de représenter avec toutes leurs caractéristiques ethniques. L'histoire des Pygmées fascine et trouble aussi bien les spécialistes que les populations qui se différencient d'eux ou qui s'en approchent par curiosité, afin de vérifier le bien fondé des nombreux clichés accumulés depuis la nuit des temps. Cependant pour certains esprits attardés, il s'agirait toujours d'êtres imaginaires ou surnaturels, d'animaux, de nains, etc. et d'autres s'ingénient encore à nier purement et simplement leur existence. Ils apparaîtront enfin comme le possible révélateur de l'état du primitif paléolithique ou « le chaînon manquant ». Pourtant, on est en présence des hommes dotés de toutes les capacités qui les élèvent au dessus de l'animal. Relation entre peuple Pygmée et peuple Bantou Peuples nomades, les Pygmées se sont installés dans les forêts de l’Afrique centrale. Cependant, au Congo ils sont les premiers habitants, mais le pays a été ensuite touché par la grande migration des bantous, venus du nord en longeant la côte et les cours d’eau. Avant la colonisation, les Pygmées et les Bantous cohabitaient fraternellement dans un environnement commun et partageaient la même écologie, source de leurs modes de vie, des mœurs et des croyances. Différents rapports économiques les liaient, notamment le troc. Les Pygmées fournissaient aux bantous les produits de la forêt en contrepartie d’étoffes, d’ustensiles de cuisine, de sel et de savon. Mais la colonisation est venue perturber les mœurs bantoues qui se sont égarées un instant, ensuite les bantous se sont ressaisis pour revenir aux sources à travers les rites initiatiques. Les Pygmées sont dépositaires d’un grands nombre de connaissances qui témoignent d’une rare maîtrise des éléments constitutifs de la nature et de l’univers. Actuellement, les bantous et les pygmées entretiennent des rapports de maître et d’esclave. Les pygmées travaillent dans des plantations du maître, exercent de basses besognes comme simple appareil productif. Toutefois, leurs rapports sentimentaux sont remarquables mais à sens unique. C’est ainsi que les bantous entretiennent des rapports sexuels avec les femmes Pygmées (parfois même les violent), mais l’inverse n’est pas accepté.
Conscients de l’évolution de leur situation actuelle, ils redoutent plus que toute chose la négation de leur citoyenneté et la tendance à les infantiliser. Tradition des Pygmées Traditionnellement, les pygmées vivent en petits groupes sociaux égalitaires, leur mode de vie est dominé par la préhension et dépend de la chasse et de la cueillette. Ils se caractérisent par leur mobilité sur un vaste territoire et se rendent, au besoin, d’un centre de ressources à un autre. La forêt, milieu naturel des pygmées est une écologie compatible avec leurs mœurs grâce à leur capacité d’adaptation et de dissimulation. Aussi, la vie du pygmée est-elle tributaire de la forêt d’où il tire l’essentiel de son alimentation (fruits sauvages, légumes et champignons) et de sa pharmacopée durant toute l’année. Le climat qui détermine les rythmes de nomadisme, règle aussi les habitudes procréatrices. En effet, la période de grandes pluies est généralement une saison de grande naissance, presque tous les pygmées naissent à cette période parce que c’est la période d’abondance en fruits, en champignons, en viande et en tubercules. Pendant la période de grandes pluies, les pygmées sont plus ou moins stables du fait que cette période est aussi celle des initiations qui préparent les cultes des saisons sèches. Cependant, quand arrive la saison sèche, apparaît aussi d’autres types de désirs qui poussent les pygmées à plus d’efforts à cause de la vie en plein air, à la marche et à l’endurance. Pour ce faire, les femmes et les hommes doivent être disposés à courir après les éléphants, les buffles, les sangliers et le miel. Taille des pygmées Le Docteur Poutrin dans sa contribution à l’étude des pygmées d’Afrique, 1911- 1912, les décrit de la façon suivante : « être nain, la taille de 1,20 à 1,50 m (…) un potentiel musculaire très apparent (…) leur donnent un aspect trapu et particulièrement robuste (…), le tronc est remarquablement développé en hauteur, ils sont de teint clair et couvert de poils ». Ils sont caractérisés par leur petite taille, leur mobilité et leur teint clair et se distinguent des autres communautés par leur identité culturelle, leurs coutumes et leurs traditions.
La pratique des rites gémellaires et leur évolution historique Les objets de cultes Ce sont des objets rustiques, faits de petites calebasses avec leurs contenus initiaux. Ils sont décorés de peintures longitudinales de couleur rouge et blanc et sont destinés aux cultes religieux et de louange en honneur des mères gémellipares.
La nativité gémellaire Les Pygmées pensent que l’homme est l’expression la plus élevée qui témoigne de la générosité divine et il est inscrit que seuls les dieux façonnent les enfants dans l’utérus de leurs mères. Ils croient à l’ordre divin comme créateur de l’humanité, de l’univers et de la nature. Les dieux fixent la destinée de leurs créatures. Aussi, pensent-ils qu’avant leur arrivée au monde, les jumeaux passent par le Tribunal des dieux, lieu où ils reçoivent la prédestination de ses activités et ses attributs qu’ils devront atteindre, de même qu’il leur est fixé le cap de leur vie, la durée de leur mission et l’espérance de leur vie. Cette pensée est illustrée par la maxime suivante : « Si dieu te sert les ignames dans une corbeille, ne souhaite pas manger le miel dans la marmite ». Les signes prémonitoires de la nativité gémellaire La cosmogonie des pygmées est essentiellement mystique, c’est ainsi que le songe est le premier moyen par lequel les dieux ; les génies et les ancêtres parlent aux hommes pour ses songes surtout quand elle attend un enfant. Elle doit donc se prémunir de toute souillure pour recevoir la nature de l’être qui va arriver. Le fait de faire des songes de façon cyclique d’une partie de pêche, d’une vie lacustre ou au bord d’un étang, de ramasser de façon permanente et à des endroits inappropriés une espèce de champignons, mais surtout des plumes de perroquet ; la présence des perroquets et des colombes autour du campement, ou dans les périmètres de cueillette, sont des signes prémonitoires et échographiques d’une nativité gémellaire. Une femme en état de gestation veille sur ces signes qu’elle soumet à l’analyse des autres femmes prêtresses. Le mari, qui pendant les parties de chasse, rencontre fréquemment des couples d’animaux annonce la nativité gémellaire. Une communauté qui a reçu ces différents messages et qui observe la discipline requise assiste à l’arrivée de ces êtres surnaturels appelés jumeaux, les envoyés. Pendant la grossesse, la femme garde une réserve d’eau au seuil de sa porte avant d’aller se coucher afin que les dieux fassent accoster la barque apportant les génies. L’hérédité est aussi une réalité importante dans la compréhension de ce phénomène puisque près de 15% des couples de pygmées ont enfanté plus de deux fois les jumeaux.
L’arrivée des jumeaux Dans la coutume Pygmée, une naissance singulière et normale est un événement sacré. Cependant, lorsqu’elle est gémellaire, elle est mystérieusement vécue. Le couple est soumis à l’éthique communautaire qui consiste à respecter les tabous, tels que ne pas manger : les viandes faisandées de peur que le nouveau né soit atteint de gale et de teigne ; le foie des animaux pour préserver les nouveau-nés de la rate ; le cerveau et la moelle épinière des animaux pour préserver les préserver des otites. Il est difficile d’évaluer le degré de prohibition des rapports sexuels dans cette communauté qui excelle dans le respect de la fidélité. Pour le commun des mortels et pour un observateur, il n’existe pas de signes distinctifs entre une naissance ordinaire et une naissance gémellaire. La conduite de la femme est la conséquence de songes et des aspects extérieurs. Elle devra se dispenser de dormir à plat ventre de peur d’une fausse couche. Eu égard aux songes, les femmes gémellipares bénéficient de l’assistance d’un groupe de femmes, utiles pour l’éducation coutumière. Les jumeaux ne sont pas considérés comme des enfants à accoucher mais plus tôt comme des êtres qui viennent à bord d’une pirogue. Les pygmées considèrent les jumeaux comme des commis ou des envoyés des dieux dont la naissance est accompagnée des signes prémonitoires. La femme en attente d’accouchement est conduite au bord d’une source d’eau que l’on a repérée d’avance car la source est prétendue être le refuge du dieu des eaux, génie des jumeaux qui doit lui-même conduire ses esprits incarnés auprès des hommes. Lorsque la zone est dépourvue d’eau, un petit étang est improvisé pour la circonstance et destiné au premier rite de la coupure du cordon ombilical. La femme en proie à des douleurs d’accouchement est allongée dorsalement sur les feuilles de bananier fraîches étalées au sol par les femmes gémellipares. L’endroit est décoré par des palissades et d’anneaux fait de roseaux. L’accouchement se fait sur fond d’une chanson de bienvenue entonnée par les femmes gémellipares qui seules sont autorisées à assister à cet événement double, parce que en dehors de l’arrivée des jumeaux ou retour des ancêtres, il y a la sortie du dieu des eaux.
Les mères gémellipares sont dénudées de tout habit, formant un cercle autour de ladite source et se passant à tour de rôle les deux jumeaux, entre les jambes. Elle symbolise la coupure des cordons ombilicaux avant la bénédiction solennelle des esprits bienfaisants. Cette bénédiction montre à la communauté que ces enfants qui lui sont donnés ou mieux ces esprits qui lui sont envoyés, viennent des dieux pour servir la communauté. De ce fait, ils sont le souffle des dieux pour accorder fécondité, prospérité, autorité et bénédiction, mais aussi de sanctionner. Après cette première bénédiction, la doyenne des gémellipares dépose les deux enfants dans la source et la plus jeune les reprend quelques instants après. Cet acte se répètera trois fois quand les enfants sont de sexe féminin et se poursuivra jusqu’à l’arrêt des pleurs s’il s’agit des garçons. Pendant ce temps, la mère gémellipare se fait faire une toilette par les autres mères gémellipares qui lui font porter une bandoulière croisée faite d’une liane et ses feuilles. Le dieu des eaux prend une racine, la mâche et la crache sur la tête des enfants et de la maman qui sont conduits ensuite dans une maison apprêtée ; entourée de feuilles sèches de bananier en association des feuilles rampantes de calebasse. La mère et les jumeaux resteront dans cet enclos jusqu’à ce que la rupture devienne totale entre la mère et ces esprits (enfants). Ensuite intervient la période où les enfants expérimentent la bipédie. Une cérémonie d’accueil est organisée après chaque étape au cours de laquelle on danse, on mange, on boit et on joue toute une nuit. Le lendemain, les enfants rejoignent le groupe de jumeaux à un endroit aménagé. C’est une sorte d’autel où les jumeaux reçoivent un premier culte et c’est à ce moment qu’est fait le premier sacrifice ; une antilope rouge dormante est immolée. À cette occasion, les membres de la communauté apportent les dons de tout genre. À la fin de ce culte, des envoyés partent vers les communautés voisines apporter la merveilleuse nouvelle. Pendant ce temps, le père des jumeaux va en brousse couper une liane possédant la sève très abondante et potable en lieu et place de l’eau. Les nouveau-nés se désaltèrent de cette sève. Au cours du premier culte, le dieu des eaux place une plume rouge de perroquet au dessus du front des deux enfants, dans les cheveux, puis il donne à chaque jumeau un oiseau blanc. Les dons et les louanges se font de façon simultanée entre les jumeaux et la mère. L’enfance L’enfant jumeau doit être arraché à la vie ordinaire et de sa mère quasiment dès sa naissance afin de l’intégrer dans le collège des esprits. Outre les rites d’initiation gémellaires, les jumeaux doivent passer dans leur premier âge le rite de puberté et être acheminés vers d’autres rites conférant la qualité d’homme appartenant à une communauté magico-religieuse. Il y a d’abord, à l’âge de la puberté, le sevrage de leur mère. On les conduit dans une forêt de lianes.
Pendant trois jours, ils sont fouettés à coups de liane pour susciter les saignements nasaux afin de faire sortir le liquide amniotique, dit liquide féminin, qui empêcherait la croissance normale des enfants et l’épanouissement de la masculinité. Le troisième jour, les prêtres leur révèlent le secret des tamtams sacrés qu’ils ne doivent sous aucun prétexte confier à quelqu’un d’autre sous peine de mort. Cette initiation permet de rompre avec l’étreinte aimantée de la mère. La discipline de cette étape interdit aux jumeaux des deux sexes de se rapprocher de leur mère, de leur parler et de les toucher. Ce principe doit être observé jusqu’à ce qu’ils soient reconnus homme et c’est à ce moment seulement qu’ils pourront se rapprocher de leur mère ou de tout autre être de sexe féminin. L’âge adulte Le mariage est le point culminant de l’étape de communion entre les vivants et les morts et ceux qui vont naître. Le mariage des jumeaux est une institution économique et sociale au sein de laquelle l’homme et la femme exercent des fonctions complémentaires dans la production et l’acquisition des biens et la reproduction biologique. Exclusivement monogamique, le mariage confère à la femme les mêmes droits que l’homme car dans leur mythologie la femme est considérée comme l’être que dieu a envoyé briser la solitude de l’homme et l’unique partenaire de sa vie. Le choix d’un conjoint ou d’une conjointe est effectué discrètement par une mère gémellipare choisie par leur collège. Le sacrifice suprême des jumeaux : l’infanticide Selon Markus Lischer l'infanticide désigne le meurtre intentionnel d'un enfant, immédiatement après sa naissance. Le terme n'inclut pas seulement les décès dus à une mort violente, mais aussi les infanticides involontaires fréquemment dus aux circonstances de la naissance
Les jumeaux sont soumis, dès leur naissance, aux rites de l’enfance qui consistent, entre autres à les fouetter en vue de faire sortir le liquide amniotique. Environ 10‰ succombent suite à cette épreuve. De même, lorsqu’il s’agit d’une naissance mono sexuée masculine, la présence des deux forces égales perturbe l’ordre établi et exige qu’on sacrifie le plus faible qui est soit abandonné dans la forêt et exposé aux intempéries et aux fauves, soit dépourvu de soins prénataux (environ 51‰ de décès). Le sacrifice fait partie du système de reproduction des pygmées, de sorte qu’il arrive quelquefois que le plus fort des jumeaux soit sacrifié, lorsqu’il s’agit de rembourser une dette mystique compensatrice et réparatrice, de commun accord entre le père et l’oncle. De même, les jumeaux sont des êtres capricieux qui trépassent souvent suite à une crise de jalousie occasionnée par le manque d’affection de l’un d’entre eux (environ 19‰ de décès). À l’issue des épreuves rituelles et des cultes initiatiques dès la naissance, les jumeaux survivants deviennent des êtres actifs dotés des droits divins, y compris le droit de vie ou de mort. Le mariage les transforme en individus créateurs de nouvelles générations tandis que la mort les place dans l’immortalité temporelle et donc dans l’éternité. La mort des jumeaux sacrifiés appelle d’autres cérémonies car les jumeaux ne naissent pas mais viennent dans le monde des humains. C’est ainsi qu’ils ne meurent pas, mais repartent au paradis. Leur mort est accueillie dans la joie totale comme à leur naissance. Il ne doit y avoir ni pleurs, ni regrets au risque de perdre le jumeau survivant. À cette occasion, on chante les exploits du défunt, on loue la volonté des dieux qui ont décidé de le rappeler. Au demeurant, les pygmées considèrent les décès causés par les rites gémellaires comme des morts naturelles, involontaires et utiles pour permettre la perpétuation de leur espèce. D’ailleurs, il est rare de voir les jumeaux atteindre l’âge adulte. Aussi, le concept d’infanticide est-il existant dans leur système de valeur.
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