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Traditions africaines: la problématique des tabous ancestraux |
23 Mars 2015 | |||||||||
L’accès équitable des genres dans les ordres tribaux
Parmi les problématiques contemporaines sensibles, qu’on qualifie toujours en Afrique de sujets tabous- puisque frappés du sceau du silence-, tant dans les cercles traditionnels qu’au sein des castes patriarcales, s’inscrivent l’égalité des genres et l’accès équitable des femmes dans les Ordres tribaux. Aussi n’est-il pas surprenant que des observateurs avertis et certaines opinions éclairées qui évaluent le mode de fonctionnement des « peuples naturels » pensassent que s’il fallut classifier les traditions humaines les moins communicatives, celles des peuples naturels d’Afrique se retrouvassent comptées comme les plus conservatrices de la planète, du moins pour ce qui concerne la divulgation des enseignements sacrés, sans discrimination de sexe. Intellectuellement et dans la mesure du possible, il convient de garder sur de telles opinions une bonne proportion de neutralité et d’objectivité. Ainsi dit, autant concéder que si dans la plupart des cas, les conclusions auxquelles aboutissent ces analystes et experts contiennent en des points des soupçons de naïveté, et quelquefois sont des assertions contestables en de nombreux aspects, elles s’avèrent néanmoins sérieuses et pertinentes. Ce serait même peu dire que d’ajouter que dans les traditions africaines, la transmission des connaissances initiatiques révélées depuis l’aube des temps, demeure sous le monopole du sexe masculin. Jusqu’à présent, une ligne de démarcation subtile mais infranchissable sépare l’homme de la femme. Dans nos ordres tribaux, la « discrimination » s’établit, se fait ressentir et se maintient sous la férule d’un conservatisme permanent dont l’objectif apparent serait d’exclure toute possibilité d’intégration du sexe féminin dans les rites traditionnels ; A défaut, d’empêcher que ne s’installe une mixité pouvant conduire à une éventuelle parité dans l’exercice de l’autorité spirituelle. C’est donc -pourrait-on supposer- à juste titre que le sujet demeure un tabou, c’es-à-dire verrouillé. L’establishment patriarcal semble maintenu, malgré que les deux genres soient indifféremment poussés vers l’unique aventure humaine, contraints mutuellement et individuellement à se confronter aux mystères de la vie. Une situation certes préoccupante, à l’heure de l’explosion médiatique qui marque la propension d’outils de communication sophistiqués, mis au service de l’Homme. Toutefois, il semble risqué d’associer à la question, les formes actuelles de revendications sociales en vogue dans la plupart des pays, menées sous l’égide de l’émancipation et de la liberté des femmes. Nous ne recherchons en aucun cas et sous aucun prétexte à soutenir par cet article, la cause des défenseurs du sexisme, ni celle des propagandistes féministes. Leurs idéologies et leurs revendications, aussi méritoires et nobles qu’elles puissent paraître, ne proposent hélas que des solutions partielles aux disparités que provoquent les rapports séculiers entre les deux genres. Notre seule intention est d’éclairer et de communiquer sur des sujets d’intérêts spécifiques qui promeuvent le rayonnement des traditions des peuples naturels.
Nous écartant ainsi de ce méridien sociologique et de son modèle actuel, nos propos s’efforcent de stigmatiser et d’aliéner quantité de considérations erronées, portant sur des thèmes directement ou indirectement liés aux valeurs que défendent les peuples naturels en général, et particulièrement ceux de l’Afrique. Ce pour quoi nous sommes préoccupés est de dé problématiser la vision du tabou dans les sociétés tribales, par un débat contradictoire dépassionné qui pourrait aider la conscience collective du monde contemporain à briser leurs préjugés ; Non seulement ceux que l’on considère comme tels, mais ceux que nous-mêmes, alimentons sur les cultures étrangères aux nôtres. Le tabou traditionnel, code moral ou pratique obsolète ? Nonobstant incompréhensions et paradoxes liés à l’instauration et à la mise en exergue des tabous dans les sociétés tribales africaines, leur interprétation est fort complexe. Au sein des tribus et des clans, les tabous sont un mode de gestion et un outil de protection de tout ce qui est sacré. Vu de l’intérieur, le tabou pourrait être interprété comme moyen intelligent de pression psychologique servant à solidifier l’architecture spirituelle sur laquelle reposent les croyances et les arcanes. Ainsi, à mesure que l’on s’investit pour comprendre la valeur et la portée de ce « conservatisme » aux relents d’exclusion, se révèle progressivement le contenu des enseignements élaborés et divulgués au sein des communautés initiatiques ou du clan. Le tabou servirait à y garantir une sorte de stabilité et de pérennité. Sans être exhaustif, les enseignements dispensés sont pour la plupart d’ordre spirituel, philosophique, cosmologique. Leurs portées ne sont pas des moindres et leurs compréhensions surpasseraient le cadre d’une analyse intellectuelle de premier niveau. En réalité, à l’inverse de ce que l’on imagine généralement, les milieux traditionnalistes et patriarcaux actuels sont constitués d’érudits, d’éminents hommes de savoir et de sagesse, d’intellectuels versés dans des recherches de type supérieur. Un nombre parmi cette élite traditionnelle fait partie des hautes sphères académiques ayant étudié et enseigné dans les institutions universitaires occidentales de renom, comme jadis érudits et savants occidentaux de renom vinrent acquérir des connaissances dans les prestigieuses Ecoles de l’Egypte pharaonique. Voilà peut-être pourquoi de par sa subtilité, la pertinence de la perception du tabou pourrait échapper même à des analystes réputés être de bonne foi. Par ailleurs, son instrumentalisation et son application ne sont pas manipulées par des mains inexpertes ni par des individus aux idées anachrones ou anti-évolutives, ni même intellectuellement inaptes à comprendre les mutations sociales et les efforts d’une partie de l’humanité, pour l’évolution spirituelle et civilisationnelle des deux genres. C’est dire qu’à priori, la pratique des tabous ancestraux dans les cercles traditionnels peut paraître obsolète, d’après le jugement d’un profane au monde tribal. Toutefois, nombre de ceux qui les perpétuent sont pour le moins du monde, des personnes peu éclairées ou des fanatiques arriérés.
Les tabous certes sont contraignants, mais ils sont idéalement non-violents et ne concernent pas des sujets liés à la modernité, mais visent à modeler autour du sacré les maillons que sont les membres de la cellule familiale ou du clan. En guise d’exemple, prenons les tabous sur « le sacré » : Ils agiraient surtout comme pédagogie de régulation de la vie spirituelle clanique. Les Anciens s’en servirent pour contenir en leurs temps, les dérives morales, culturelles et spirituelles. On comprend qu’au-delà d’une interprétation fallacieuse d’absence de démocratie ou de libre-penser, ils activent l’intérêt majeur de protéger le clan et la lignée par la « fermeture de la tradition » aux mouvances exogènes et aux agissements impies. Vus sous cet angle, les tabous pourraient se dépouiller du caractère obsolète et archaïque que lui confèrent des opinions bornées à présenter seulement ses manifestations extérieures. A cause des pressions sans cesse croissantes qu’exerce la « modernité contemporaine» sur les institutions traditionnelles, beaucoup d’observateurs ignorent et occultent les raisons essentielles qui favoriseraient le maintien et la perpétuation des tabous. Sous l’aspect de code moral protecteur, ils sécurisent les rites et les usages de la Tradition de toute déviance. S’il y a d’éventuelles difficultés, elles pourraient résider dans ses « mécanismes de fonctionnement », ou ses modes d’applications. Par ailleurs, maints travaux de notoriété académique réalisés dans ce domaine sont pour la plupart, des comptes-rendus de thèses de recherches aux finalités préétablies. En somme, lesdits travaux ethnologiques et anthropologiques menés et écrits sous la responsabilité et la paternité de brillants intellectuels ont le tort d’être entrepris parfois par des personnes étrangères au monde dont ils veulent apprécier les us et coutumes. Il est donc souhaitable qu’une distinction soit faite d’une part, entre l’analyse logique des coutumes ancestrales, dont le champ d’application académique s’applique à l’école exotérique, et d’autre part, la judicieuse compréhension du mode de penser des traditions natives, dont la communication utilitaire se confère par le sacré et le respect des tabous, au sein des écoles ésotériques ou les ordres tribaux. Etant donné que ce que l’on comprend n’est que ce qu’on pourrait restituer en tant que fait ou idée, il n’y a ni garantie, ni certitude que son propre entendement d’homme extérieur soit à la hauteur des traditions qu’on prétend étudier. Dans ce cas, le risque de limiter et d’aliéner la valeur de ce qui constitue le bien-fondé des tabous semble grand. Avec des procédés inadaptés, il est difficile et presqu’impossible de cerner la complexité du phénomène dont on rime la manifestation aux préjugés et aux stéréotypes portés sur quantité de peuples naturels. Utilisés comme boussole, les tabous ancestraux dignes d’être retenus comme tels, seraient pour nos traditions des paradigmes d’évolution et d’orientation. On pourrait même dire qu’ils sont une force de pesanteur qui régule par des paradoxes et des anachronismes apparents, les modèles de spiritualité adoptés par les tribus. Les tabous pourraient donc sans ambigüité, être pris comme moyens de protection des valeurs tribales par « l’interdit de profaner ». En effet, contrairement aux lois scripturales, le tabou est une loi de silence non écrite.
Mais en aucun cas, ce silence n’est opposé à l’émergence des idées neuves. Il est important de souligner que d’après une interprétation philosophique propre à certaines tribus des peuples naturels, toute loi contient réciproquement les éléments de son anéantissement, y compris ceux de sa régénération. Le moins que l’on puisse dire c’est que les tabous vitalisent nos traditions. Femmes et Traditions, quel avenir ? Les ordres tribaux ne sont pas misogynes. Pourtant, leurs règles d’appartenance suscitent des débats multiformes. Des opinions mitigées se bousculent .On en est à se demander si les rites tribaux ont encore de l’influence dans la société actuelle. Un nouvel esprit surgit de nos anciennes traditions. Des solutions erronées sont proposées aux problèmes que pose son avènement. L’on presse nos peuples de sortir du chemin traditionnel, avec des outils de propagande idéologique inappropriés et culturellement inadaptés. Cet esprit novateur est particulièrement actif sur les réseaux sociaux, amplifié par les segments sociétaux que constituent les femmes de nouvelle génération. Leurs actions indiquent leur volonté et leur détermination à remettre en cause les concepts et les modèles culturels ayant servi de base à la résistance et au maintien des identités tribales, gage de la survie de nos valeurs. De même, elles veulent hâter le déracinement d’une spiritualité qui a su rester vivante dans les plus pénibles conditions historiques. Manifestement, elles ignorent ou méprisent à tort, les circonstances dramatiques que vécut l’humanité, oeuvre de quelques réformateurs bornés et aveuglés par les obsessions de changement. Malheureusement – comme c’est d’ailleurs le cas pour de nombreux peuples naturels de la planète - très peu d’informations fiables ont été transmises des mémoires lointaines. Ainsi, par suite de l’absence regrettable de documents et de vestiges probants due en partie à la culture de l’oralité qui constitua le mode de transmission des connaissances et, d’autre part à la culture du « secret initiatique » encore en vigueur dans toutes les cultures humaines, le champs reste ouvert à des spéculations de toute nature. Il y aurait donc peu de chances que sur cette base, la postérité puisse entreprendre d’exploiter le potentiel culturel et spirituel qui lui est léguée. Avant qu’elle ne décide de se lancer aveuglement vers la levée définitive des verrous traditionnels qui demeurent les dernières soupapes de sécurité dans l’océan bouillonnant qu’est le monde contemporain, elles devraient reconsidérer le passé en se pliant aux exigences des tabous ancestraux. Dans le train multiculturel à grande vitesse qui conduit l’humanité vers une destination inconnue, la femme des sociétés tribales africaines se trouve logée dans un compartiment particulier. A l’aube des libertés et des ouvertures démocratiques, elle sort progressivement de l’ombre des traditions ancestrales. Son statut au sein du clan est désormais porté à révision par les « progressistes ». Habituellement soumise aux contraintes du tabou, elle entend franchir les marches, décidée de se lancer vers l’émancipation effrénée que lui susurre l’enivrante voix de la mondialisation. Mais Il se peut qu’à l’entame de cette aventure, elle se confronte à de nombreux obstacles de diverses natures. Pour réussir une ascension contrôlée, elle devrait capitaliser et intégrer la valeur protectrice du tabou, non pas dans une attitude de renoncement aux aspirations contemporaines, mais dans le but utile de considérer la sagesse des Anciennes. Ce point sensible mérite d’être abordé avec prudence, au risque d’être considéré comme l’apologie d’un conservatisme rétrograde. En effet, d’après l’interprétation de la Tradition, la femme tient une place importante dans les ordres tribaux du clan qu’elle intègre, soit par la force des liens du mariage, ou alors du fait de sa naissance. La pérennité s’y opère, au-delà des innovations temporelles. Son rôle est consensuel et unique, commun à toutes les tribus. Dans le cercle traditionnel, la femme qu’elle soit du passé ou de l’avenir, est la gardienne du rite du plus grand et du plus beau des mystères : Celui de la fécondité, donc de la Vie. L’influence qu’exerce ce rite dans tous les domaines initiatiques confère à sa détentrice une importance, un rôle et un poids qui surpassent la gestion patriarcale quotidienne du clan. Dans son essence, la société tribale africaine est matriarcale. Le rite de l’androgynie est lui aussi, du ressort des femmes dans plusieurs traditions naturelles. le pouvoir de la femme est étendu et ne peut aller plus loin. Au-delà, toute interprétation de la Tradition est surhumaine. C’est le mieux que l’on puisse en dire. Au regard de ce qui précède, il ressort que la femme actuelle éprouverait des difficultés pour faire sienne la sagesse des Anciennes. Tributaire de son époque, elle tend à percevoir la Tradition par le prisme des valeurs sociales que sont : Son instruction, son niveau de vie, le poids de ses responsabilités dans la société, etc. A l’opposé, leurs aïeules surent s’approprier la plus haute responsabilité dans les ordres tribaux ou dans le clan. Certes n’occupèrent-elles pas nécessairement des fonctions de premier rang, mais permirent aux lignées auxquelles elles donnèrent vie, de maintenir la tradition, à travers les rôles élémentaires mais essentiels : De mère, d’épouse, de soeur et finalement de gardienne des rites (tels que ceux de la fécondité), elle contribuèrent à renforcer le tabou en protégeant l’interdit par le silence. Face à la menace des influences judéo-chrétiennes Ce tour d’horizon assez bref nous permet pourtant de récuser les thèses judéo-chrétiennes qui font l’apologie de l’« exclusion » du genre féminin dans l’exercice du pouvoir traditionnel et spirituel. L’inégalité des sexes s’est historiquement imposée en norme de vie dans presque toutes les civilisations, depuis l’ère adamique. En Afrique, la propension de l’aliénation spirituelle au sein des communautés des peuples naturelles sème une grande confusion dans les rapports entre genres. De plus, la mauvaise interprétation de la notion de tabou a grandement contribué à renforcer chez les femmes de nouvelle génération le sentiment d’injustice patriarcale aux effets néfastes. En effet, depuis l’avènement des traditions judéo-chrétiennes par le phénomène inhumain de la colonisation et la pratique criminelle de l’esclavage, l’écart se creuse davantage entre hommes et femmes. Les traditions africaines sont sous la menace de désacralisation par la promotion doctrinale du renoncement des valeurs ancestrales, au profit des pratiques nouvelles et peu contraignante, vantées par les églises judéochrétiennes aux multiples chapelles et obédiences. Leurs agissement ont de terribles conséquences tant pour l’équilibre futur des peuples naturels, que pour la perpétuation de leurs traditions ancestrales. La ségrégation des genres inspirée du judéo-christianisme soulève de nombreuses questions. A la recherche d’une parité proposée ailleurs, les femmes africaines de nouvelle génération semblent elles-mêmes devenir les agents de leur auto-exclusion des cercles traditionnels. Elles dévient progressivement du chemin tracé, happées par la toile magnétique de la société majoritaire. Hélas jusqu’à présent, demeurent non éclaircis de nombreuses situations impliquant l’avenir de nos traditions. Aucun chercheur ne peut lever le temps d’une vie, tous les verrous que scelle le passé. Probablement, pour des raisons connues mais tenues secrètes, la survie cultuelle et culturelle des peuples noirs continue de s’élaborer dans les microcosmes claniques, unifiés en une seule Tradition aux multiples aspects, dont quelques uns sont le Mbock du peuple Basa’a, le Moungui des Sawa, le Vaudou du Benin, l’Eboka des peuples du Gabon ou les Dogons du Mali. En elle se trouve indéniablement l’avenir de la femme, puisque porteuse de vie. Sa place et sa responsabilité au coeur des ordres tribaux seront toujours les mêmes : Garder et protéger les rites perpétuels de la lignée, dont elle assure le nombre et le genre.
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